Friday 10 January 2014

Mon devoir de mémoire

     Il y a quelques années, mon grand-père avait écrit un texte pour partager une partie de son histoire, son histoire d'enfant caché à Écommoy pendant la seconde guerre mondiale.
 Il est le second élève dans la file de droite.
Grâce à deux femmes, sa mère et Madame Gorse, mon grand-père a survécu et je suis là aujourd'hui pour raconter son histoire.

     Ce que mon grand-père ne raconte pas dans cette lettre est la façon dont sa mère et lui ont réussi à ne pas monter dans le train, le convoi n68, qui les emmenait tout droit à la mort. Les gendarmes français n'ont pas pu empêchés un mouvement de panique quand le train est entré en gare d'Écommoy et c'est ainsi qu'il ont réussi à se cacher puis à s'enfuir.
Après avoir laissé son fils à la directrice du collège, mon arrière grand-mère, Marie Bassan s'est enfuie et elle a disparu jusqu'à la fin de la guerre.
 Elle n'a jamais voulu parler de ce qui lui était arrivée ni où elle se trouvait pendant toutes ces années. Elle a emporté son secret avec elle en 1976, deux ans avant ma naissance.

    Une page mémorial a été crée par Yves Moreau où l'on peut voir des photos des membres de ma famille; mon arrière-grand-père ainsi que sa femme, son frère et ses enfants qui, eux, ont malheureusement trouvé la mort à Auschwitz.
http://lesdeportesdesarthe.wordpress.com/

Voici le témoignage de mon grand-père, Michel Bassan:

"60 années ont passée. 60 années de lutte, de joies, d'amour, de peines , de réussites et d'échecs.
Ces 60 années, je les dois uniquement à deux femmes -combien chères à ma mémoire-
Toi, Maman et vous Madame Gorse qui m'avez tendue la main -La main de la Vie.
"On dit" que le temps atténue ou efface certains souvenirs -Mais quand la blessure est profonde, ancrée au fond de soi, cette blessure que l'on a cachée à ses enfants par un sentiment que l'on ne peut exprimer, mais qu'inconsciemment a guidé votre temps de vie- un rien, une image, un son peut rouvrir la cicatrice,
Car la blessure est toujours présente.

1500 Hommes-Femmes-Enfants dans ce convoi n68 pour Auschwitz
42 seulement sont revenus.

non, 43, moi, Michel Bassan, certainement le dernier survivant de ce passé.

À toi Maman, je te dois de ne pas avoir pris ce train,
À vous, Madame Gorse, je vous dois de vivre.

Directrice de ce petit collège d'Écommoy, quand on a frappé à demi-mot, et sans aucune hésitation, vous m'avez tendue votre main.
Dans le grenier de cette école, vous m'avez caché longtemps -les journées n'en finissaient pas- je pleurais beaucoup. Je comprenais mal toutes ces choses.

La nuit tombée, vous veniez me chercher pour "un tour de jardin"...Vos paroles étaient pleines d'amour et d'espoir.
Espoir...Espoir de vivre un jour comme les autres enfants que j'entendais rire et jouer pendant les récréations.

Pendant les vacances scolaire, les soldats prenaient les quartiers dans le collège -j'étais terrorisé- une peur qui m'enlevait même la force de bouger.
Mais vous étiez là pour me rassurer, me consoler.

Et puis un jour, vous avez pris le risque de m'intégrer à vos élèves. Je vivais pleinement.
Toi, Michel, le fils de Madame Gorse, tu es devenu mon copain de jeu.

Ta maman ne faisait aucune différence de tendresse ni d'amour entre toi et moi.

Je l'aimais.

Tout à une fin. Même la guerre.
Le monde était joyeux, insouciant.
Maman avait dit: "Quand tout sera fini, je reviendrais te chercher."
Mais elle ne revenait pas.
Mon oncle, ma tante, Henry, ma famille, tous ceux qui avaient été mon univers ne revenaient pas.
Pourquoi?
Et toi,  Maurice Davy, mon confident d'enfance, où étais-tu?
Un après-midi, Madame Gorse et moi sommes partis nous promener dans l'allée de Fontenay.
Avec des mots plein de douceur, elle m'a dit ce qui s'était passé.
L'Horreur.
Elle m'a dit aussi que sa maison était la mienne.

Je comprenais tout, au delà de la douleur, du vide, j'éprouvais un sentiment indéfinissable d'amour, de gratitude, un je-ne-sais-quoi pour cette femme admirable.
Ta maman, Michel, qui avait mis en péril sa vie - pour moi- et qui, ce jour-là, gardait ma main dans la sienne.

Et puis un jour, Maman est revenue, seule.

Soixante ont passées. Me voici à l'hiver de ma vie.
Quels mots d'amour, de respect, de tendresse puis-je vous écrire à vous, Madame Gorse, pour vous dire combien vous êtes là, toujours présente à ma mémoire et à mon cœur. "

Michel Bassan

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